nicolas giraud
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Family Business (FR), 2016

in Oracles artist calling cards,
ed. Pierre Leguillon, jrp ringier



Avant de s'attaquer aux publicités, aux soupes Campbell, aux dollars, aux accidents de voiture et aux bouteilles de Coca-Cola, Warhol travaille presque dix ans comme illustrateur. Ses dessins pour Vogue, Glamour, Harper's Bazaar ou le New-Yorker frappent par leur finesse et leurs lignes délicates, assez loin de la brutalité pop de ses premières sérigraphies. Pourtant, certains principes sont déjà en place. Le trait pointilliste de Warhol illustrateur est le résultat d'un jeu de décalque et de tampon qui lui permet de réaliser plusieurs exemplaires d'un même dessin. Il a aussi l'habitude d'inviter des amis qu'il fait participer à ses travaux de commande.
L'écriture manuscrite qui apparaît notamment sur ses cartes de visites est celle de la mère de l'artiste qui vit avec lui au 242 Lexington avenue. Warhol a pris l'habitude d'utiliser son écriture heurtée pour des commandes, au point d'en faire une sorte de signature. Julia Warhola recevra même un prix en 1958 pour la couverture d'un album de Moondog conçue par Warhol et réalisée par elle. Les assistants de l'artiste reproduiront aussi cette écriture particulière pour d'autres commandes, utilisant parfois des lettraset réalisé à partir de cette calligraphie particulière. En mettant ainsi son entourage proche à contribution, Warhol expérimente déjà, sous une forme "préindustrielle", les méthodes de production de sa Factory, une entreprise familiale.

Inversement, le geste répétitif de Warhol artiste n'est pas seulement un geste machinique, il est aussi l'écho des gestes quotidiens, faire les courses, préparer le diner, aller au bureau, travailler, prier. La répétition est une forme du rituel et c'est ce rituel que l'artiste transforme en business, déplaçant le dispositif de production d'un champ à un autre. Ce n'est pas la société de consommation seulement qui est l'objet du travail, c'est aussi le geste répété jusqu'à perdre tout sens. Dans les années 80, les entrées du journal de Warhol gardent la trace de cette répétition quotidienne, une litanie de fêtes, de commandes, de coups de téléphone et de notes de taxi, à laquelle s'ajoute la liste de ceux qui dans l'entourage de Warhol, meurent chaque semaine du SIDA. C'est là que l'on apprend que Warhol assiste, en 1986, à une fête organisée pour Bret Easton Ellis. Agé d'à peine vingt-deux ans, l'écrivain vient de publier son premier roman, Less Than Zero.

L'histoire ne dit pas si les deux hommes ont échangé leurs cartes de visite, mais c'est à la même période qu'Ellis prend les premières notes pour son roman American Psycho, un texte hanté par la répétition et un style étrangement proche de celui des Diaries. Ellis écrira son roman à New York dans un appartement de l'East village. "La première fois que j'ai mis les pieds dans mon appartement, raconte l'auteur dans une interview à Vanity Fair, le service funèbre d'Andy Warhol avait lieu à la cathédrale Saint-Patrick. C'était le 1er avril, qui est aussi le jour où commence American Psycho." De l'un à l'autre, il y a une écriture qui passe de main en main, comme une carte de visite, en même temps que passe en contrebande un héritage : Le business, la mort et le travail encore…